Ce livre rend compte dans sa première partie
du colloque 2001 de la Faculté libre de théologie
de Vaux sur Seine.
Un événement ! C'est ainsi qu'est qualifié
en introduction l'engagement évangélique dans le dialogue
oecuménique. Car on en est encore à la phase de découverte,
il y a toujours des pour et des contres comme la table ronde le
montrera.
En réalité, le dialogue existe au plan international
depuis 1972 précise le Mennonite Neal BLOUGH (commençant
d'ailleurs avec la frange pentecôtiste). D'une relecture évangélique
des fondements catholiques de l'oecuménisme, il conclut au
paradoxe proprement catholique : un engagement oecuménique
véritable... et la conviction d'être l'Eglise dans
toute sa plénitude. Passant ensuite en revue les différents
et nombreux dialogues, il en souligne l'utilité positive,
exhorte à ne pas faire semblant que le problème n'existe
pas, souligne la franchise des dialogues et les résultats
concrets en terme d'actions et de changements réciproques.
Il prend acte enfin de l'honnêteté de l'engagement
catholique dans la reconnaissance des autres chrétiens, l'aveu
des fautes passées, et l'acceptation de la liberté
religieuse.
L'exégète Jacques BUCHHOLD, qui trouve grand intérêt
à la déclaration luthéro-catholique sur la
justification, montre que le NT témoigne de la diversité
(y compris théologique) mais porte le souci de l'unité
non seulement spirituelle mais aussi visible.
Il discerne dans le NT trois types de relations chrétiennes
qui caractérisent aussi l'attitude évangélique
à l'égard des catholiques : certains, minoritaires,
pratiquent l'accueil réciproque dans la communion ecclésiale
; d'autres, la rupture avec anathèmes, estimant que les vérités
essentielles sont en jeu ; d'autres enfin, la rupture avec des degrés
de communion, à la manière de 2 Thess 3.14-16 : en
discutant les opinions de l'autre (pour le gagner) mais sans oublier
qu'il demeure un frère.
Les regards croisés du Père SESBOUE (qui participe
aux dialogues depuis 1984 !) et du pasteur baptiste Alain NISUS,
apportent un noyau théologique solide.
L'autorité des Ecritures, l'orthodoxie de la confession de
foi, le caractère professant et le sens de l'expérience
spirituelle, la volonté missionnaire, voilà ce qui
plaît au catholique chez les évangéliques. Mais
la liste des " reproches " est conséquente : un
certain triomphalisme, le monophysisme scripturaire (humanité
gommée), la négligence de la confession de foi sur
l'Eglise " une, sainte, catholique et apostolique ", le
flou sur les ministères, l'émiettement dénominationnel,
la sous-estimation du baptême, la tentation élitiste
et sectaire, un prosélytisme anti-catholique, le refus du
BEM (document de convergence du Conseil Oecuménique des Eglises
sur Baptême Eucharistie Ministère)...
Mais le regard de l'évangélique n'est pas plus tendre.
Certains, plus ou moins critiques, découvrent avec sympathie
la diversité catholique, le renouveau liturgique, ses spiritualités,
sa volonté d'évangéliser et autres nouvelles
expériences qui sont parfois proches du mode évangélique.
Plus avant, le théologien appréciera le sens de l'unité
intégrative (au risque du syncrétisme, de la contradiction
ou de l'éclatement), le sens de la prise au sérieux
de l'incarnation, mais soupçonnera une soif de pouvoir institutionnel,
on reprochera à l'Eglise enseignante de se placer au-dessus
de l'Ecriture, de sorte qu'elle ne puisse pas jouer pleinement son
rôle d'instance critique de la vie et de la foi de l'Eglise.
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Pour d'autres, cette Eglise n'a pas vraiment changé (continuité
d'ailleurs revendiquée par l'Eglise catholique elle-même),
sa tendance conservatrice est donc la plus représentative.
Avec un tel système théologique englobant par excellence,
où tout s'articule, tout accord partiel est un trompe l'oeil.
Tel n'est pas l'avis d'Henri BLOCHER pour qui le catholicisme
a changé et s'est diversifié si prodigieusement qu'il
est difficile de l'évaluer globalement. Souplesse donc mais
souplesse captatrice sur fond de rigueur doctrinale (dont les articles
fondamentaux sont partagés avec les évangéliques,
mais pas les rajouts !) et ecclésiologique (le rôle
instrumental de l'Eglise et des sacrements, " inacceptable
"). On peut coopérer ensemble autour de la Bible ou
dans une " co-belligérance " sur le front de l'éthique.
Mais pour le reste, il y a beaucoup à travailler.
Une table ronde sur le sens du dialogue conclut ce colloque.
Que veut dire dialoguer : une stratégie pour gagner l'autre
? S'informer ? Une capacité d'avancer à deux ?
Faut-il dialoguer : non car nous n'avons pas les même bases,
même au plan de l'interprétation biblique ; oui, justement
à cause des différences, au nom de l'amour du prochain,
ou au moins pour reprendre ces " frères " (mais
le mot est discutable pour certains) ;
Dialogue interpersonnel, institutionnel ou les deux ?
Bref, doit-on se méfier de la séduction catholique
ou faire confiance à la grâce ?
La seconde partie du livre donne l'occasion de republier (certains
pour la première fois en français) les textes de dialogue
évangéliques-catholiques sur la mission (1977-1984),
la déclaration sur la mission chrétienne au troisième
millénaire (1994), le don du salut (une remarquable déclaration
sur ce que nous entendons par l'Evangile (1997), l'introduction
du dialogue entre l'Alliance évangélique et l'Eglise
catholique (1993-2001), et enfin les textes issus du comité
mixte baptistes/catholiques français sur le baptême
(1998) et la cène (2001). Autant de texte fort stimulants.
CONCLUSION : Un excellent document qui donne à la fois des
éclairages théologiques importants et l'esprit général
du monde évangélique à l'égard des dialogues
avec l'Eglise catholique : partagé, divers, avec ses têtes-chercheuses
optimistes, ses conservateurs aux durs a priori, ses modérés
à la distance critique...
On note bien qu'un autre clivage traverse le débat, c'est
la recherche, à côté d'autres courants dits
parfois " modernistes " ou " libéraux ",
d'une orthodoxie scripturaire, doctrinale et éthique, qui
trouve ses échos dans le monde catholique.
Je ne suis pas sûr que ce livre fort bien fait, exprime seulement
l'avis du monde évangélique. Bien d'autres protestants
s'y retrouveront. Il pourrait être pour beaucoup une bon tour
d'horizon pour une première démarche oecuménique,
mais aussi pour une approche du monde évangélique.
Enfin, il est bon qu'Emile NICOLE, à travers la parabole
du publicain et du pharisien, nous avertisse contre l'autosuffisance
spirituelle qu'on voit toujours mieux chez l'autre que chez soi
! (G. DAUDE)
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